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Paradigme's blog
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16 novembre 2004

Absence, encore...

Absence. Fraction de seconde où…

On se retourne.

Ca n’est plus là.

Tout à l’heure, encore, dans la tiédeur de la voiture, on comptait les minutes pour ne pas rater le train, pour ne pas parler, pour ne pas penser. Mais ce n’est pas moi qui conduit, je n’ai même pas à me préoccuper d’une éventuelle place pour garer le véhicule. Et puis, après ?! Il s’en va. A son travail. Il est à trois minutes de la gare.

Absence. Tout plein de monde. Il est 9 h 03, le direct pour Paris est à 9 h 07. J’ai 4 minutes pour tirer ma valise. A 10 h 24, le train pour…

Je me retourne, je le regarde. Il est là, avec sa barbe blanche, ses yeux bleus, si profonds, son regard qui me tient encore.

Sur ma joue, le picotement de sa moustache contre ma peau.

Dans ma main, mon ticket de métro. Lorsqu’il glissera dans le composteur, derrière moi, il ne sera plus là. Et je serai repartie.

Je voudrais arrêter cet instant, où l’on se quitte, où l’absence est totale, où il n’y a plus rien, ni lumière, ni chaleur, ni voix.

Devant moi, le temps qui galope, qui me rattrape dans ma vie de tous les jours, derrière moi, ces instants douillets, où on reste petit, enfant protégée par les grands.

Les sons sont inertes, remplis d’inconnus, du calme matinal en apparence, de bousculades répétées. Chacun va à son labeur quotidien. Moi, je ralentis le pas, je cherche un « à côté » pour ne pas rentrer dans le rang, pour ne pas m’éloigner, pour ne pas être dans le néant, l’absence, le vide.

Tout à coup, je suis embarquée, envahie par la marée humaine, propulsée en haut de l’escalier mécanique. Je retrouve le jour, un souffle de vie, je me retourne encore. Bien sûr, il n’est plus là. Le flux constant de corps me presse, déboule et s’engouffre dans le train de banlieue, qui vrombit, se retient de repartir, si vite. Je pose mes sacs, il fait froid et mes doigts sont gelés, recroquevillés sur les poignées, sciés et engourdis. Les gens ne disent rien mais s’entassent sans discontinuité dans le wagon béant. Petit à petit, le quai devient clairsemé, solitaire de ses passagers, retrouvant son calme, savourant l’absence de pas.

Une seconde en suspend, tout le monde est figé. Attente. Longue. Je reste là, seule, à la limite de m’effondrer sur mes bagages. Je ne fais plus un pas. Je vais manquer le train.

Les regards sur moi sont ahuris, la sonnerie stridente des portes qui se referment surgit de nulle part, éteignant tout mouvement au profit de la rame qui s’ébranle, prend de la vitesse et disparaît vers la capitale.

Absence. Il n’est plus là. Je l’ai laissé à l’entrée, derrière ses moustaches et ses baisers tendres.

Le jour s’éclaircit, acceptant que novembre donne aux minutes matinales un peu plus de lumière. Je reste debout à observer la vapeur au devant de ma bouche. Je ne vois plus rien, j’ai de l’eau dans les yeux.

Les quais sont silencieux mais déjà quelques piétons organisés s’amassent le long des lignes jaunes.

Absence. Est-il déjà arrivé à son travail ? De l’autre côté, il y un grillage. Et une silhouette avec un grand manteau gris. Je discerne, de si loin pourtant, les doigts qui s’accrochent dans les mailles, je vois le visage qui prononce mon prénom, je n’entends rien que ce vide, parce que je continue à vivre et que ce soir, je serai chez moi.

Encore une fraction de seconde. Je me tourne vers les escaliers, ce trou immense menant aux chemins de la ville. J’espère et ne crois plus.

Tout à coup, il est là, me serre dans ses bras.

Je ne vois plus la foule qui s’est reformée.

Je n’entends pas le prochain direct qui reprend place sur les railles.

Je suis juste blottie et je me laisse guider. De sa main, il me pousse doucement, me donnant à peine un souffle d’élan pour que je reparte, enfin.

Les portes se referment et j’écris à l’envers sur la buée des vitres, dans un petit coin, pour que je sois la seule à lire… PAPA

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